Innovation culturelle avec Marialya Bestougeff

L’innovation est devenue une priorité des gouvernements dans le monde entier. Elle est considérée comme le moteur du développement économique et sociétal. Mais quelle est la place de l’innovation dans le secteur culturel et dans les institutions culturelles ? 

Pour ce portrait, 104factory a donné la parole à Marialya Bestougeff, directrice de l’innovation et directrice adjointe de l’ingénierie culturelle aux côtés de Martin Colomer Diez au CENTQUATRE-PARIS. Elle pilote 104factory, l’incubateur des industries culturelles et créatives et accompagne de nombreuses entrepreneuses et entrepreneurs dans le développement de projets innovants et à impact. 

Comment l’innovation est-elle perçue dans le secteur culturel ?

Cette question est paradoxale. Le propre de l’art et de la culture est d’innover et d’inventer sans cesse. Les acteurs culturels créent et diffusent des œuvres et contenus artistiques et culturels, qui par leurs formes ou la façon dont ils sont diffusés et accompagnés peuvent sans cesse être renouvelés. Au CENTQUATRE-PARIS, les artistes et formes artistiques présentés et soutenus sont hybrides, à la croisée de plusieurs univers. C’est un lieu qui accueille énormément de publics, qui permet aux usagers de pratiquer au sein des espaces. En étant une plateforme où une diversité de personnes peuvent se rencontrer, le lieu est par essence innovant et invite à vivre de nombreuses expériences collectives inédites. Le festival les Singulièr.es en est le parfait exemple, pensé comme un concentré de projets aux identités multiples et créatives que le lieu accompagne, ce rendez-vous annuel est l’occasion de découvrir des créations à la frontière de plusieurs disciplines, croisant théâtre, danse, cirque, musique, vidéo ou documentaire. Ce festival dévoile toute la singularité de la programmation du CENTQUATRE-PARIS qui ne se traduit pas uniquement dans la forme mais aussi dans le rapport que le public peut avoir vis-à-vis des œuvres. Imaginée avec une quarantaine d’artistes du monde entier, la Foire Foraine d’Art Contemporain transporte le public dans les émotions de la fête foraine. A travers un tourbillon d’œuvres-attractions, les visiteurs deviennent acteurs et peuvent ainsi contempler, interagir et jouer avec les œuvres présentées. Ce rapport aux œuvres est particulièrement inédit, puisque en général lorsque l’on se rend dans une galerie d’art ou un musée, le public est rarement invité à interagir avec les œuvres qui sont présentées.

Qu’entendre par le concept d’innovation culturelle ?

Le concept d’innovation n’est pas toujours compris. Il est souvent associé à l’innovation technologique. Par ailleurs, les grands plans d’investissements vont encourager énormément de programmes autour de la technologie alors que l’innovation revêt une multitude de facettes. Il existe de multiples autres formes d’innovation : les innovations d’usage, les innovations sociales, la low tech, indispensables à la nécessaire transformation de notre secteur vers des activités plus durables et respectueuses de l’environnement. Innover ne veut pas forcément dire accélérer. Il faut aller explorer les initiatives et expérimentations d’ autres secteurs d’activités pouvant avoir un intérêt pour l’art et la culture. 104factory mélange une variété de pratiques et d’univers qui provient de la diversité des profils des entrepreneurs et entrepreneuses que nous accompagnons. Le programme Culture Impact mené par l’incubateur est innovant, il accompagne des structures qui développent des projets qui visent à limiter la pollution, les émissions de carbone, la production de déchets au sein des institutions culturelles. Il rassemble les personnes qui souhaitent avancer ensemble dans la transition écologique du secteur, dans le ralentissement de la production, le réemploi d’objets et de matériaux…  L’innovation ne se fait jamais seule, c’est une œuvre collective. C’est en alliant des personnes provenant de différents univers que nous arriverons à trouver des solutions durables et responsables. Le secteur culturel est finalement un secteur très concurrentiel. Innover c’est penser autrement, prendre des risques, mutualiser et développer des complémentarités d’intelligence.

« L’innovation ne se fait jamais seule, c’est une œuvre collective. »

Quels sont les freins vis-à -vis de l’innovation dans le secteur culturel ?

Nous n’avons pas la culture de l’innovation car j’ai remarqué la difficulté du secteur à travailler de façon transversale et collaborative. La culture est organisée par filière avec cette habitude de diviser les disciplines. L’artistique prend souvent le pas sur les autres domaines tels que la médiation culturelle. Les institutions culturelles sont souvent dans l’urgence, les effectifs sont limités, le manque de vision et d’anticipation, l’adaptabilité permanente des équipes, entraîne une forme d’usure.  Comment innover dans ce contexte ? À mon sens, c’est en prenant soin de nos équipes, en déployant des projets qui ont du sens et apporte du confort à l’ensemble des bénéficiaires (équipes, artistes, publics, usagers) et en permettant aux initiatives de jeunes structures innovantes de se déployer dans nos institutions. C’est aussi une question d’échelle, il est plus long et difficile pour une grande organisation de se transformer. Quand on crée une structure tout est possible. Les entrepreneurs et entrepreneuses que nous accompagnons sont parfois des personnes déçues par des premières expériences au sein d’institutions culturelles, déçues par le manque d’autonomie qui leur est accordé et le manque d’audace de ces organisations.  Ils décident alors de développer leurs propres projets en créant une association ou une entreprise. La meilleure innovation n’est pas celle de la rupture mais une forme d’amélioration continue pour optimiser des processus déjà existants en trouvant des solutions en interne, en réfléchissant à d’autres méthodes et approches. Ainsi en intégrant au départ tous les métiers clés à la conception d’un projet culturel et artistique, en travaillant moins dans l’urgence, de nouvelles formes d’organisation plus horizontale permettent de prendre plus de recul, d’avoir une vue sur tous les aspects d’un projet de sa diffusion à sa médiation à son éventuelle itinérance et d’imaginer dès le départ  les pistes de réemploi. L’intérêt de ce type d’organisation est d’agir de façon collaborative pour anticiper et prévoir. Plus il existe de compétences différentes autour d’un même projet, plus il y a de chance que celles-ci intègrent les besoins et usages d’un plus grand nombre et limitent les risques. 

Qu’est-ce qu’un bon innovateur ?

Il n’existe pas de bon ou de mauvais innovateur et innovatrice. On n’innove jamais quand on est seul ou que l’on reste dans sa zone de confort. Le collectif est central et les synergies qui peuvent en ressortir aussi. Nous pouvons donner l’exemple de Museomix, un format de 3 jours où des équipes mixtes, pluridisciplinaires, conçoivent un dispositif de médiation fonctionnel, sous la forme d’un prototype. Cet événement s’inscrit dans un contexte d’innovation ouverte avec les musées, les entreprises, les start-up, les collectivités et le grand public et crée les conditions d’innovation pour la muséographie, la scénographie, la relation avec les publics, le rapport aux œuvres, la transformation numérique des musées. Museomix encourage les rencontres professionnelles, la pluridisciplinarité, la découverte d’autres modes de travail et d’autres méthodologies. Une institution culturelle n’a aucune obligation d’innover mais elle doit impérativement s’adapter pour s’accorder avec le monde en perpétuel changement et  y développer des compétences et des aptitudes qui s’adaptent aux transformations. Pour les institutions culturelles tout comme les personnes qui les composent, se réinventer peut être un processus gratifiant et joyeux. 

Comment peut-on innover dans une organisation culturelle et apporter sa contribution en ce sens ?

En agissant de façon collaborative, en se formant et en s’inspirant d’actions existantes. Présenter différemment la culture par des temps long par exemple comme à la Maison des métallos où ils invitent le public à débattre et à participer à la programmation artistique. J’ai eu la chance de travailler dans d’autres univers où la formation était prioritaire alors que dans la culture, on ne voit pas toujours la valeur de la formation. Il serait nécessaire d’imaginer des formations plus transversales, et qu’assez rapidement différents métiers puissent s’y rencontrer obligeant les acteurs à se confronter. Il est important de se dire qu’on a toujours des compétences à acquérir, que l’on peut apprendre aux côtés de jeunes structures qui explorent de nouvelles façons de travailler.  

C’est comme ça qu’on peut penser et faire autrement en essayant d’améliorer ses pratiques, en sensibilisant ses collaborateurs sur d’autres méthodes. Pour innover, il faut pouvoir faire confiance. Lorsque l’on voit une entreprise qui réussit, on ne se pose pas toujours la question du chemin parcouru, mais généralement elle est passée par de nombreuses tentatives et de nombreux échecs. Cela fait partie de la culture de l’innovation. Il faut essayer de comprendre ce qui n’a pas fonctionné, prendre le temps de faire des bilans, pour apprendre de nos erreurs et inventer sereinement de nouvelles façons de procéder .

Dans quelle mesure 104factory impulse l’innovation dans la culture et contribue au développement du secteur des industries culturelles et créatives ?

104factory est l’incubateur des entreprises culturelles et créatives du CENTQUATRE-PARIS, il joue un rôle de facilitateur entre les entreprises en leur donnant de la visibilité, en les  mettant en réseau et en les connectant avec les différents talents de notre lieu et à nos différents écosystèmes ( institutions, partenaires, artistes, collaborateurs, usagers, publics…). Il accompagne les transformations du secteur culturel en jouant le rôle de laboratoire pour les structures accompagnées pour qu’elles puissent mener des expérimentations. 

Tout comme les entreprises que nous accompagnons, nous développons des projets innovants comme par exemple le dispositif VR TO GO imaginé avec Diversion cinema et le Centre Phi pendant la pandémie. Alors que notre établissement était devenu un centre de vaccination, nous avions imaginé avec l’équipe du CENTQUATRE-PARIS un dispositif de location de masques de réalité virtuelle pour y découvrir des contenus artistiques pour permettre de garder un lien avec nos publics et expérimenter une nouvelle approche. 

Tout au long de la saison nous organisons des C’le Chantier innovation en reprenant le principe du  C’le chantier, un format gratuit d’ouverture de répétition publique. Il permet de découvrir des étapes de travail d’artistes en résidence et de les rencontrer. 

Ces événements permettent de montrer à nos publics les innovations qui se créent dans notre incubateur. Nous avons débuté l’année avec l’expérience Noire de Novaya une œuvre hybride qui mêle réalité augmentée, son immersif et décors réels pour emporter les spectateurs dans l’univers de Clodette Colvin, adaptée d’un essai biographique écrit par Tania de Montaigne, produite par le Centre Pompidou et Novaya.

Durant cette année nous proposerons d’autres événements C’le chantier et organiserons en fin d’année lors de la biennale Internationale des arts numérique Némo au CENTQUATRE-PARIS la septième édition d’Open Factory qui mettra en avant tous les projets que nous accompagnons, nos partenaires et nos écosystèmes.

En 2023, 104factory a 10 ans, un beau prétexte pour célébrer les différents projets  que nous avons accompagné et remercier toutes celles et ceux qui ont accompagné, créé et développé des entreprises innovantes et contribué ainsi à innover dans la culture.

https://www.youtube.com/watch?v=mWOGxls-BhE

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