MEET-UP#7 : Les logiques du réemploi dans les décors et la scénographie

Retour sur notre septième MEET-UP organisé dans le cadre du programme porté par l’incubateur 104factory : Culture Impact, un laboratoire de la transition écologique au service de la culture pour repenser les usages et favoriser les innovations afin de réduire l’empreinte écologique dans ce secteur.

Nos expertes ont pu transmettre leurs savoir-faire et leurs connaissances sur les logiques de réemploi dans les décors et la scénographie, afin d’accompagner le secteur culturel dans sa transition écologique. 


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Écoutez cet échange qui s’est tenu en présence de : 

  • Éloïse Rolland, coordinatrice des activités chez ARVIVA, association rassemblant les acteur·ice·s du spectacle vivant, toutes disciplines et esthétiques confondues, pour les accompagner dans la transformation écologique des arts vivants ;
  • Fanny Legros, cofondatrice et présidente de Plinth, outil numérique de mise en relation pour le don d’objets et matériaux dédié au secteur culturel ; 
  • Candice Dupré, fondatrice de La Réponse D., studio de création et de production en décors et scénographies éco-conçus, qui défend un design désirable, engagé et inventif ; 
  • Annabel Vergne, co-directrice de l’Augures Lab Scénogrrrraphie, programme collaboratif prospectif pour penser l’écoscénographie dans le champ du spectacle vivant et de l’exposition.

Pourquoi réemployer ?

Selon l’article L541-1-1 du Code de l’environnement, le réemploi désigne « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ».

Dans le secteur de la culture, de nombreux matériaux sont gâchés et jetés après une unique utilisation pour la scénographie de spectacle ou d’exposition. Les logiques de réemploi interviennent alors afin de réutiliser ces matériaux et de s’engager dans une démarche plus vertueuse

Création et pollution

Le réemploi est d’autant plus important dans le secteur de la culture que la multiplication des événements culturels (et à travers eux la notion de création), est de plus en plus critiquée en raison de son impact écologique. Pour nos expertes, la problématique est autre : il s’agit de renverser cette approche et de continuer à créer en étant plus conscient de notre empreinte environnementale.

Annabel Vergne insiste sur ce point : « Penser que créer c’est polluer, c’est une façon de se culpabiliser et ce n’est peut-être pas la bonne manière d’appréhender les choses. Il existe une nécessité de la création et de la communication par l’art. Le tout est de penser l’acte de création en ayant le moins d’impact possible, et le dimensionner par rapport au sens qu’on veut donner au travail ».

Ce sens donné au geste créateur, Éloïse Rolland en parle et déclare que celui-ci peut « permettre de porter d’autres types de discours, de récit, et de sensibiliser sur ces questions-là ». 

« Il existe une nécessité de la création et de la communication par l’art »

Les barrières au réemploi

Si le réemploi est rarement mis en place dans le secteur de la culture, c’est parce que plusieurs barrières dissuasives existent. 

La première, dont nous parle Candice Dupré, est celle de l’ignifugation. Elle explique : « On peut sourcer des matériaux déjà ignifugés, mais les procédés pour ignifuger des matériaux qui ne le sont pas au départ sont assez chers, ce qui pose problème pour recycler ou re-réemployer ». Des méthodes sont mises en place pour contrer ce problème, comme celle de la compensation qu’expose Fanny Legros : « On a eu le cas d’une exposition dans laquelle certains matériaux ont été réemployés. On a décidé de compenser le manque d’ignifugation en installant un extincteur supplémentaire et en engageant davantage de personnel de sécurité. Le problème reste le coût ».

D’autres barrières existent, comme les barrières légales ou encore les problèmes de propriété intellectuelle et de droit d’auteur du scénographe. Eloïse Rolland résume : « Ce sont des problématiques qui arrivent vite quand on parle de réemploi. Cela peut sembler aberrant que ce ne soit pas questionné, mais ça commence à être réfléchi. Chez ARVIVA, un des experts commence à se pencher avec le Ministère sur les leviers réglementaires à faire évoluer pour favoriser la transformation écologique du spectacle vivant sur toutes ces questions-là ». 

De premières démarches

Toutefois, les différentes initiatives amorcées par ces spécialistes ainsi que par l’ensemble du secteur culturel laissent présager une évolution des mentalités et un changement des usages. 

Annabel Vergne nous parle de l’exposition du Centre Culturel Canadien à Paris, « Le synthétique au cœur de l’humain » où les commissaires, The Synthetic Collective, ont placé ce questionnement au cœur de l’exposition : « Tous les cartels étaient écrits à la main, parfois même avec des ratures. Il y avait également un cartel qui racontait d’où venait l’encre utilisée. Dans un coin, on trouvait également trois sacs poubelle qui montraient que malgré les efforts réalisés pour ne pas générer de déchets, la réalisation de l’exposition en a tout de même généré. » Fanny Legros mentionne également l’exposition « 100% » qui a ouvert récemment à La Villette, totalement conçue en réemploi.  

Favoriser et mettre en place le réemploi

Ainsi, comment favoriser le réemploi et quels sont les éléments à prendre en compte en premier lieu ? 

Candice Dupré nous dit : « Il y a deux sujets majeurs quand on parle de réemploi. Le premier est l’anticipation, car quand on crée en réemploi, il faut réserver davantage de temps en amont car ce n’est pas aussi pratique et évident qu’une conception classique. […] Plus on anticipe, meilleures seront les solutions. Par ailleurs, il faut penser la création en elle-même comme un levier de transition, en cassant les clichés et en démontrant ses vertus. Pour cela, il faut raconter ce qu’il y a derrière la création et la conception, en communiquant sur la manière dont ça a été réalisé. Toutes ces histoires attisent la curiosité et créent un sujet émotionnel autour du réemploi. »

L’anticipation est peut-être la chose la plus difficile à mettre en place pour les institutions culturelles. Comme le dit Fanny Legros, « il s’agit de nouveaux métiers qui ne sont pas encore simples à définir. Cependant, il s’agit aussi de bon sens et de bonnes pratiques car faire un catalogue de ce qu’on possède, ce n’est pas compliqué. Il faut simplement le faire en amont ».

Ce travail est un travail collectif. Les institutions culturelles doivent travailler conjointement afin d’automatiser, de standardiser et de simplifier les logiques de réemploi comme l’explique Éloïse Rolland : « Il y a un projet qui met en coopération plusieurs opéras et théâtres, qui s’appelle « 17h25″ et qui réfléchit aux questions de standardisation pour faciliter le réemploi et le transport. C’est le tout début du projet, mais l’objectif est de faciliter le processus et poser de nouveaux standards ».

Retrouvez l’intégralité de la discussion dans le podcast ! 


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Réalisation, générique et montage – Morgan Prudhomme du Studio Module

Crédits : © Énergies Désespoirs CENTQUATRE-PARIS, 2021 – Encore Heureux / Bonnefrite – Photo Quentin Chevrier