MEET-UP#8 : Le numérique responsable !

Retour sur notre huitième MEET-UP organisé dans le cadre du programme porté par l’incubateur 104factory : Culture Impact, un laboratoire de la transition écologique au service de la culture pour repenser les usages et favoriser les innovations afin de réduire l’empreinte écologique dans ce secteur.

Nos expert·e·s ont pu transmettre leurs réflexions sur le numérique responsable afin d’accompagner le secteur culturel dans sa transition écologique et ont répondu aux nombreuses questions des participant·e·s.

J’ÉCOUTE L’INTEGRALITE DE LA DISCUSSION DANS LE PODCAST !

Écoutez cet échange qui s’est tenu en présence de : 

  • Camille Pène & Marguerite Courtel, cofondatrices de Les Augures, collectif qui accompagne les acteurs du monde culturel dans leur transition et leur capacité d’adaptation et d’innovation en liant les enjeux écologiques et sociétaux;
  • Kevin Guive Echraghi, cofondateur de hérétique, organisation qui pense, crée et transmet des numériques alternatifs au modèle californien;
  • Vianney Quignon, coordinateur général de Réseau HACNUM, association qui vise à accompagner les transformations du secteur culturel et jouer le rôle catalyseur sur les territoires pour faire entrer la culture dans le paradigme de la transition numérique;
  • Isabelle Tourneur Germond, directrice adjointe des Éditions et du Transmédia d’Universcience, qui a pour ambition de faire connaître et aimer les sciences d’aujourd’hui ainsi que de promouvoir la culture scientifique et technique.

Les enjeux du numérique dans la culture ?

Le numérique représente 4 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Et ce chiffre risque de doubler d’ici à 2025. La question des enjeux du numérique dans la culture se pose donc avec insistance aujourd’hui.

Pour Kevin Guive Echraghi, « le numérique californien est obsessionnel, réductionniste, extractif, impérialiste, hors sol. Face à ce modèle hégémonique, la culture est bien placée pour proposer un contre-modèle. En effet, celle-ci a un ancrage local, et dispose d’un terrain de jeu qui lui permet d’expérimenter, de prendre des risques, de se différencier en développant des numériques alternatifs, alignés avec nos aspirations individuelles et collectives. » 

Camille Pène remarque qu’il est compliqué d’aligner deux stratégies – numérique et de sobriété – dans la culture. Pourquoi ? « Parce que le numérique a des impacts environnementaux. Quand on pense au numérique on parle de dématérialisation, de cloud mais en fait ce sont des infrastructures principalement matérielles. Des réseaux, des centre de données, des équipements qui nécessitent beaucoup de ressources naturelles pour être fabriqués et d’énergie pour fonctionner. Si nous continuons sur la même trajectoire, cela ne sera pas soutenable à long terme. On parle d’ailleurs de technologie zombie, ces technologies qui se heurtent aux limites  en termes de ressources naturelles : à peine créées, elles sont déjà mortes ».

Vianney Quignon voit le numérique comme un médium qui nous offre des possibilités créatives immenses, et ce depuis les débuts de l’informatique. « Le numérique a libéré un espace de création très riche pour les artistes, créateurs et créatrices. Cependant, en tant que réseau, nous réfléchissons à la manière de fédérer les différents professionnels autour des questions d’éco-responsabilité. Nous créons des groupes de travail pour réfléchir à la façon de s’emparer des outils numériques pour créer des futurs souhaitables ».

Les jeunes publics et le numérique

Isabelle Tourneur Germond se demande à quel moment il est pertinent d’avoir recours à un écran pour véhiculer un message dans un parcours d’exposition. « Chez Universcience, nous n’avons pas un recours systématique au numérique. Cependant, nous avons conscience que lorsqu’on s’adresse à un public jeune, avoir recours à une borne interactive est une manière efficace de capter l’attention et de faire comprendre certains dispositifs».

Lucas Ponton-Lepaon, responsable de communication numérique du CENTQUATRE-PARIS, rejoint la vision d’Isabelle sur l’utilisation du numérique dans la culture pour attirer un jeune public. « Les jeunes découvrent les expositions en partie grâce aux réseaux sociaux. Avant d’utiliser TikTok, 4% de notre public avait moins de 30 ans, aujourd’hui, nous sommes à 50% sur nos expositions. C’est donc un vecteur puissant de communication. Se pose maintenant la question de comment on sensibilise et éduque les nouvelles générations aux usages de ces nouveaux outils ? »

Pourtant, Marguerite Courtel nuance le mythe selon lequel, pour toucher un public plus large, il faudrait mettre en place davantage de dispositifs numériques. « Une étude montre que justement des jeunes sortant du bac à 18 ans sont aussi soumis à une fracture numérique et qu’elle ne concerne pas uniquement des personnes situées en zone blanche ou des personnes âgées ». Il faut également « préserver les publics de la surexposition des écrans ».

Responsabilité et numérique

D’après Camille Pène, il est important de replacer la responsabilité quand on parle des impacts environnementaux du numérique. « Ce ne sont pas les consommateurs, les usagers qu’on doit pointer du doigt. Ce qui est problématique c’est les fabricants de matériel, ce sont les dispositifs ChatGPT qui mobilisent des serveurs et des quantités considérables d’eau pour faire tourner leurs services. »

Marguerite Courtel, parle, quant à elle, du problème de la « course à la mondialisation ». Pour certaines structures, il est difficile de rester à  la fois  compétitives par rapport à leurs concurrentes tout en essayant de réduire l’impact et de responsabiliser leurs usagers. Au-delà de la responsabilité individuelle, Kevin Guive Echraghi voit la solution du côté de la réglementation et de la création.

Vers des démarches numériques alternatives et plus responsables ?

hérétique aide des entreprises, des étudiants , des organisations publiques à penser, créer et transmettre des numériques alternatifs. Kevin Guive Echraghi nous parle d’un des projets d’hérétique : Dérive. « L’application Dérive a été créée pour réapprendre à flâner dans les villes. Dérive indique une adresse, une direction, une distance et rien de plus. La certitude d’arriver à bon port sans itinéraire imposé. L’application préserve la vie privée et a une faible empreinte carbone car elle n’a pas besoin de collecter de données personnelles pour fonctionner. » Un autre bénéfice de concevoir des propositions de valeur ancrées culturellement comme la flânerie si parisienne ? « Le numérique devient un produit culturel en lui-même. Et donc certains pays dans le monde nous demandent d’amener ce produit culturel, ce rapport au territoire, ce mode de déplacement chez eux. Nous cherchons à imaginer à quoi ressemblerait un numérique qui ne serait pas absolu et uniforme, mais propre à une culture, une pratique, un territoire. »

Les Augures porte avec la structure L’Augures Lab Numérique responsable, un programme d’expérimentation collaboratif pour éco-concevoir le numérique culturel. Il s’agit d’un programme- action qui regroupe des actrices et acteurs du secteur culturel et des expert·e·s du numérique responsable et développe des outils d’éco-conception numérique spécifiques aux enjeux du secteur culturel. Camille Pène mentionne des entreprises qui cherchent à développer des modèles rentables autour du numérique responsable comme « Commown qui propose d’équiper des entreprises avec des appareils numériques en location ou encore, TeleCoop, une coopérative télécom qui prône la sobriété des usages. »

Finalement, Vianney Quignon questionne le soutien réel apporté au développement d’alternatives numériques plus responsable. « Comme en témoigne le lancement par le Ministère de la Culture de l’appel à projets autour des technologies immersives et le métavers. Ce projet s’élève à 200 millions d’euros sans qu’il y ait eu de réelle étude d’impact sur ce que ça représente. Tandis qu’en parallèle, le dispositif Alternatives Vertes n’est doté que de seulement 25 millions d’euros. »

Encore une fois, la difficulté d’aligner le numérique et écologie se fait prégnante. Pour que « numérique responsable » ne demeure pas un oxymore, des contre-modèles existent, et d’autres sont encore à inventer !

Réalisation, générique et montage – Morgan Prudhomme du Studio Module

Crédits : ©moi, fauve Joséphine Derobe, Claire Allante – Photo Quentin Chevrier