Rencontre avec hérétique

Découvrez notre échange avec Kevin Echraghi et Antoine Mestrallet, co-fondateurs d’hérétique afin d’en apprendre plus sur le projet, les motivations et les objectifs de l’équipe.

Qu’est-ce qu’hérétique ?

Kevin : hérétique est une organisation qui pense, crée et transmet des numériques alternatifs à celui que porte la Silicon Valley. Le numérique tel qu’il est aujourd’hui est né dans un bain philosophique et idéologique qui est assez peu connu dans nos contrées, mais qui irrigue les outils que nous utilisons au quotidien. Une certaine vision du travail, de l’Homme, de l’amour, de la ville, du temps… En important ces outils, et en reproduisant leurs propositions de valeurs et leurs stratégies, nous importons également cette vision du monde qui est souvent orthogonale à nos aspirations individuelles et collectives. Mais rien ne nous y oblige ! Il suffit d’arrêter de croire aux prêches des évangélistes de la Silicon Valley. C’est donc ce double mouvement intellectuel et créatif qui fait le cœur de la mission d’hérétique : comprendre en détail ce modèle californien, et y opposer des pensées, des créations, et des stratégies alternatives plus en ligne avec nos cultures, notre art-de-vivre et nos modèles socio-politiques.


« Nous avons créé hérétique pour lutter contre ce dogme californien que l’on déconstruit pour ensuite proposer des « hétérodoxies », d’autres manières de pratiquer le numérique, une altérité face à un mode de pensée unique.
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Comment le projet est-il né ?

Antoine : Nous avons tous les deux débuté nos carrières plongés dans la machine californienne. Kevin était consultant en stratégie. Il menait des études pour décrypter les modèles stratégiques et économiques des GAFA, afin d’identifier les causes de leur domination et permettre aux comités exécutifs du CAC40 de tenter de tirer leur épingle du jeu. De mon côté, j’ai travaillé en fonds de capital-risque pour tenter de financer les licornes de demain. Tous deux, nous nous sommes rendus compte de l’impact négatif – écologique, humain, politique, social, mais aussi économique en France – de ce modèle numérique vendu comme l’unique chemin.

Nous avons créé hérétique pour lutter contre ce dogme californien que l’on déconstruit pour ensuite proposer des « hétérodoxies », d’autres manières de pratiquer le numérique, une altérité face à un mode de pensée unique.

Nous avons commencé à travailler sur la mission d’hérétique il y a quatre ans et avons créé la structure il y a bientôt trois ans, en plein COVID. Depuis, nous menons des projets sur des sujets et des formats extrêmement variés !    

Quelles sont vos activités ?

K. : Nous cherchons à penser, créer et transmettre des numériques alternatifs. Nous faisons donc de la recherche sur le modèle numérique californien et ses impacts, mais aussi sur ses alternatives, qu’elles soient des outils, des stratégies de développement, d’organisation, des méthodologies…

Ces recherches, nous les incarnons dans des créations. Nous développons des applications, des objets, des expériences immersives, nous avons même un projet de dessin animé. Nous sommes constamment à la recherche du format qui porte le mieux la réflexion.

Notre dernier pilier est la transmission. Nous enseignons depuis cinq ans à Sciences Po Paris et à l’ESCP et intervenons dans d’autres écoles. Nous faisons également de la formation et du conseil pour des institutions culturelles, des associations, des organisations publiques et privées, afin de les inspirer et de les aider à imaginer un numérique plus aligné avec leurs valeurs.  En travaillant par exemple avec des entreprises françaises de taille et de secteurs variés, nous nous sommes rendus compte que celles-ci échouaient à recopier le modèle numérique californien, notamment car cela ne correspondait pas du tout à leur philosophie. Nous les accompagnons pour les aider à définir une vision qui leur est propre à travers des études, des créations et du conseil.

Nous nous adressons à une cible très large puisque nous parlons aussi bien à des régulateurs, des artistes, des institutions culturelles, des étudiant·e·s, des entreprises, des militant·e·s, des associations etc. Cette multiplicité des publics, des projets et des activités est à la fois ce qui nous attire, ce qui nous définit et ce qui fait notre force. 

La Balade sentimentale du Bas-Belleville
la biblio.tech
Autopsie Numérique

Pouvez-vous décrire quelques projets phares ?

A. : Dérive est le premier projet que nous avons lancé il y a deux ans. C’est une application qui prend la forme d’une boussole, qui ne donne pas d’itinéraire précis d’un point A à un point B mais simplement le minimum d’informations nécessaire pour arriver à destination, à savoir une direction et une distance à vol d’oiseau. Plutôt que de confier nos déplacements à Google Maps, nous souhaitions créer un outil pour le flâneur plutôt que pour l’optimisateur, pour Paris plutôt que pour la ville quadrillée à l’américaine, un outil sans notion de temps qui permettrait à l’utilisateur de se réapproprier la durée, un outil qui ne capte pas de données personnelles afin de protéger nos vies privées mais aussi afin de réduire l’impact environnemental de l’application.

K. : C’est un projet qui grandit à son rythme, notamment à travers des partenariats avec des institutions pour lesquelles nous développons des expériences ancrées dans leur territoire. Nous avons pu le faire avec l’Alliance Française de San José au Costa Rica, afin de faire découvrir grâce à Dérive une centaine de lieux choisis par les habitants de San José, hors des sentiers battus. L’objectif : faire découvrir la ville autrement, mais aussi permettre aux habitants du Costa Rica de vivre la flânerie si typique de nos villes européennes.

Un second projet fondé sur Dérive est la Balade sentimentale du Bas-Belleville. C’est une œuvre crée avec l’artiste Judith Depaule, en coproduction avec la Maison des Métallos. Ce projet permet de découvrir grâce à Dérive des témoignages d’habitants de Belleville, en déambulant dans le quartier à la recherche de ces morceaux d’histoires. Belleville étant un quartier d’accueil d’exil depuis très longtemps, les témoignages racontent l’histoire de ces arrivées à Belleville, dans 130 lieux du quartier. Certains week-ends, des comédiens se joignent au parcours, et réalisent des performances artistiques, notamment lors de sa présentation aux journées du patrimoine 2022 et lors du Symposium d’art numérique qui se tenait à Paris cette année. C’est un dispositif aux multiples dimensions, qui mêle numérique, Histoire, culture et spectacle vivant.

A. : Nous avons développé d’autres projets comme Hérésie Numérique, une expérience de formation qui retrace l’ensemble de notre pensée ; Algoville – notre projet de dessin animée qui met en scène des algorithmes personnifiés ; ou encore la biblio.tech qui est le pendant numérique de la bibliothèque physique d’hérétique. Elle regroupe les livres qui nourrissent nos réflexions, et que nous prêtons à qui le désire. La biblio.tech arrivera bientôt au CENTQUATRE !

Avez-vous de grands projets à venir ?

K. : Nous avons deux sujets de recherche principaux en cours. D’abord le rapport du numérique au temps – est-on condamnés à considérer le temps comme une ressource et le numérique comme un vecteur d’accélération, ou peut-on imaginer du numérique pour prendre le temps, pour retrouver nos temps subjectifs, pour vivre le temps des autres ? C’est un sujet pour lequel nous avons produit une étude en 6 volumes pour un de nos clients et qui ne cesse de donner des fruits. Le second sujet pose la question du potentiel créatif des intelligences artificielles génératives. Face à leur tendance à uniformiser la création, à spolier les créateurs et à mettre en danger nos modèles socio-politiques, les préoccupations sont nombreuses. Comment les mettre au service d’une création enrichie, comment les saboter, comment les encadrer, comment les ralentir, comment se les approprier plutôt que de les subir ?

A. :  Nous voulons aussi diffuser notre Galerie des Alternatives, une base de données qui nous sert beaucoup en interne et qui recense de nombreuses initiatives de numériques alternatifs qui nous ont tapé dans l’œil. Nous aimerions faire connaître et mettre en valeur leurs créateur·rice·s et décortiquer leurs créations pour pointer les mécanismes, les interfaces, ou encore les structures économiques et organisationnelles alternatives qui peuvent nous guider collectivement. Enfin, nous avons d’autres projets internes dont nous espérons bientôt pouvoir parler !

Étude sur le temps – L’air du temps

Vos projets s’inscrivent dans une vision et une philosophie plus globale. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

K. : Nous cherchons à modifier les usages mais il y a également un engagement plus politique dans notre travail. Nous questionnons la fascination que nous avons pour les géants californiens qui foulent aux pieds toutes nos règles collectives et que pourtant nous n’avons de cesse d’admirer et de copier. Nous sommes persuadés qu’il y a d’autres voies à explorer que les modèles américains ou chinois. Cette pensée politique est affirmée mais n’est pas affiliée à un parti ou à une idéologie en particulier, même si certains penseurs sont au fondement de nos réflexions. Nous préférons ouvrir que refermer.

Quelle place occupe la création artistique dans votre travail ?

K. : La création artistique irrigue notre travail. D’abord parce qu’elle est une source d’inspiration qui ne cesse de nous nourrir. Les artistes apportent leur vision et empruntent des chemins de traverse pour mener à bien leur création, numérique ou non. Qui de mieux qu’eux pour pointer des alternatives. 

Ensuite, nos créations sont souvent incarnées dans des dispositifs où nous pensons la forme autant que le fond. Nos pensées et nos avancées conceptuelles ne doivent pas être réservées à une élite mais être accessibles à toutes et tous. Semer des graines partout où cela nous est possible. Dérive, par exemple, est à la fois une proposition et une critique sur la question de l’optimisation du temps et de notre vie, c’est un dispositif de recherche-création si l’on veut. Au lieu de publier un énième livre-blanc, nous avons créé une application désirable et gratuite qui permet d’incarner cette critique et de la transmettre à l’utilisateur par l’expérimentation et la sensation directe.

« Nous questionnons la fascination que nous avons pour les géants californiens qui foulent aux pieds toutes nos règles collectives et que pourtant nous n’avons de cesse d’admirer et de copier. »

A. : Enfin, pour créer, nous travaillons au quotidien avec des artistes. C’est un des milieux dans lequel nous aimons être plongés. Notre structure fonctionne sur un modèle de maison d’édition. En fonction des projets et des commandes, nous identifions et rassemblons des créateur·rices·, qui sont co-auteur·rices du projet. Nous travaillons déjà avec une vingtaine de créateur·rice·s qui peuvent être à la fois des graphistes, des designers d’objets, des développeurs, des philosophes, des anthropologues… Venir au CENTQUATRE-PARIS permet d’élargir nos possibilités de co-création, aussi bien avec les entreprises incubées 104factory qu’avec les artistes en résidence.

K. : En plus de nos créateur·rices, nous collaborons souvent avec des institutions culturelles. Même si ce ne sont malheureusement pas les organisations les mieux dotées, elles nous permettent de nous affranchir de certaines limites, préjugés ou contraintes que peuvent avoir les entreprises privées. Elles permettent de ne pas inféoder dans un premier temps la question de la création à celle de la rentabilité. Le champ d’expérimentation est plus fertile, et les publics extrêmement variés.

Pourquoi avoir choisi 104factory ?

A :  Nous avions envie de nous rapprocher physiquement du monde de l’art mais aussi de bénéficier de l’expertise et des connaissances de l’incubateur sur le secteur culturel. L’identité du CENTQUATRE-PARIS comme lieu d’art infini et pluridisciplinaire résonne fort avec hérétique, ce que nous faisons et ce vers quoi nous voulons tendre.

K. :  Nous souhaitions aussi rejoindre un collectif d’entreprises et d’artistes, qui défendent des projets proches de nos valeurs. L’aventure entrepreneuriale est parfois rude et nous sommes heureux de pouvoir désormais partager espoirs, doutes et projets avec nos pairs de 104factory.

Comment continuer à vous suivre ?

K : Vous pouvez d’abord aller explorer notre site www.heretique.fr. Il est en cours de refonte mais il présente encore fidèlement nos pensées et certaines de nos créations. Vous pouvez aussi nous suivre sur Linkedin, réseau infernal auquel nous n’avons pas encore réussi à échapper ! Et surtout n’hésitez pas à nous écrire à bonjour@heretique.fr. Les portes du CENTQUATRE-PARIS sont toujours ouvertes, et les nôtres aussi !

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